Antiesclavagisme à l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis : idées, arguments et écrits des militants noirs et blancs, 1776-1865 (De l')

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Question de civilisation américaine au programme de l'agrégation externe 2018 et 2019, option B.

Texte de cadrage

  • La question de l’antiesclavagisme et de l’abolition a figuré il y a quelques années au programme de l’agrégation externe dans le contexte britannique et impérial. Si la problématique nord-américaine a des points communs avec le débat britannique, en particulier à l’époque coloniale (influence de l’argumentaire nord-américain, et notamment des idées d’Anthony Benezet, sur l’abolition de la traite atlantique), le présent sujet invite préparateurs et candidats à se concentrer sur la spécificité de la question dans son contexte nord-américain. Elle sera abordée sur une période longue, qui va de la Déclaration d’indépendance affirmant l’égalité des hommes en 1776 au Treizième amendement déclarant l’esclavage aboli pour toujours en 1865. Cette question a une longue et riche historiographie aux Etats-Unis, des travaux de David Brion Davis à ceux de Manisha Sinha pour la période récente. Les historiens ont longtemps privilégié l’« abolitionnisme immédiatiste », qui apparaît et s’affirme entre 1830 et 1860, faisant une moindre place aux décennies précédentes. Mais comme le démontre la synthèse récente de M. Sinha (The Slave’s Cause: A History of Abolition, Yale UP, 2016), dans la lignée de nombreuses monographies, en matière d’antiesclavagisme et d’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis, il est plus éclairant d’articuler deux périodes aux contours un peu flous: la « jeune république » (1776-1815) d’une part, et les années antebellum (de 1815 à la guerre de Sécession) d’autre part. Cela permet notamment de mettre en valeur le rôle moteur constant des Africains-Américains (dont les « fondateurs noirs »), et leur « agentivité » dès les origines de la République. Une approche prenant en compte la longue durée souligne aussi les aléas d’un combat non seulement moral, mais également social et politique qui connaît des victoires comme des périodes d’échec, des divisions et des scissions internes. Ainsi peut-on proposer une version moins téléologique du sujet, tout en mettant au jour de profondes continuités (l’action des Quakers, l’importance du protestantisme évangélique des Premier et Second Réveils, le rôle de l’imprimé et de la propagande, la critique d’une démocratie hypocrite) et changements (l’entrée en politique de certains militants, l’appel à l’autodéfense et à l’action directe pour d’autres, la radicalisation). Cette périodisation fait également apparaître la dynamique spatiale de l’abolitionnisme, les militants blancs du Sud devant progressivement quitter leurs Etats d’origine pour se regrouper dans le Nord-Est et le Nord-Ouest, par exemple.
  • Si l’intitulé de la question se prête prioritairement à une approche d’histoire intellectuelle, ce sujet ne peut être détaché des grandes problématiques nationales, politiques et économiques auxquelles il s’adosse : expansion territoriale et culture du coton, développement de l’esclavage, prégnance croissante de la question de l’esclavage dans le débat politique des grands partis. Les candidats sont donc invités à appuyer leur étude de l’antiesclavagisme et de l’abolitionnisme nord-américains sur une connaissance précise du contexte historique des années 1776-1861. Aboli dans le Nord lors de la période révolutionnaire et de fondation de la nation, son expansion interdite dans certains nouveaux territoires par l’Ordonnance du Nord-Ouest votée en 1787, l’esclavage est pourtant protégé par la constitution fédérale (1787) et conforte progressivement sa position dans le Sud, puis à l’Ouest, à partir de la présidence de Thomas Jefferson, après l’invention de l’égreneuse à coton. Son extension est un enjeu politique majeur dans l’histoire de la jeune République, puis de la période antebellum, car à travers diverses acquisitions territoriales (Louisiane en 1803, Floride en 1819, terres indiennes après la Guerre de 1812, territoires conquis sur le Mexique par le Texas en 1836, puis par les Etats-Unis en 1848) se pose régulièrement la question du statut des nouveaux territoires, ce qui se traduit par des compromis de moins en moins tolérés dans le Nord (compromis du Missouri en 1820, compromis de 1850). Longtemps tenu à l’écart par les grands partis, le débat sur l’esclavage lui-même s’impose progressivement dans la vie politique qu’il perturbe considérablement, dès 1820, et surtout à partir de 1840 : le « Liberty Party », tiers parti issu du milieu antiesclavagiste, présente des candidats aux élections de 1840, 1844 et 1848. En 1848 se forme le « Free Soil Party », autre tiers parti, sur une base moins militante, et en 1854 ses membres rejoignent le « Republican Party », dont le succès électoral consacre à la fois l’effondrement du parti whig, et la division des démocrates autour de la question de l’esclavage. Au-delà du débat politique, l’historiographie nord-américaine de l’esclavage est immense et les candidats n’auront pas à en maîtriser toutes les dimensions, qu’il s’agisse des variantes du système selon les régions et les époques, de l’impact de l’esclavage sur la famille africaine-américaine, de la traite intérieure, du contrôle social blanc, ou encore des liens entre esclavage et capitalisme. Mais il est cependant essentiel de connaître la nature et l’évolution de cette institution sociale et économique sur une longue période (voir Ira Berlin) ponctuée par la résistance des esclaves, la révolte de Nat Turner en 1831, les conspirations, et les fuites d’esclaves par le biais de l’« underground railroad ».
  • L’ancrage social et religieux du mouvement doit également être connu : le mouvement antiesclavagiste puis abolitionniste s’analyse au prisme d’autres mouvements de réforme sociale nord-américains du XIXe siècle, comme le mouvement pour la tempérance ou le mouvement pour les droits des femmes,parmi lesquels on trouve des organisatrices, oratrices et auteures majeures. Le mouvement antiesclavagiste bénéficie de la popularité croissante d’un protestantisme évangélique à la fin du XVIIIe siècle, puis de l’effervescence liée au Second Grand Réveil religieux dans la première moitié du XIXe siècle. A l’origine globalement défavorables à l’esclavage, les églises méthodistes et baptistes se divisent sur cette question dans les années 1840 ; la Bible reste cependant une référence permanente des antiesclavagistes, même si elle a pu être aussi utilisée par le camp pro-esclavagiste du Sud. Sur le plan de l’environnement intellectuel, l’antiesclavagisme compte parmi ses soutiens de nombreuses figures du transcendantalisme. Sur le plan de l’histoire des idées comme de l’histoire sociale, il paraît essentiel aussi de s’intéresser aux préjugés et au racisme nord-américains pendant la période, un phénomène qui touchait toutes les couches de la population blanche et toutes les régions du pays. Ainsi peut-on mieux comprendre le cadre quotidien dans lequel travaillaient et écrivaient les militants noirs, cadre caractérisé par les textes ambigus d’un certain nombre d’antiesclavagistes blancs, l’émergence de l’« American Colonization Society » (destinée à préparer l’émigration des Africains-Américains libérés vers l’Afrique) et la très lente évolution de l’opinion publique au Nord et à l’Ouest. S’il n’y avait guère de pro-esclavagistes dans ces régions, l’antiesclavagisme croissant de la population s’accompagnait en général d’un refus de toute cohabitation avec les Noirs libres ou libérés, voire d’une législation ségréguant la population africaine-américaine. Plus largement, le contexte international ne saurait être ignoré, tant il informe les débats nord-américains. Reliant l’histoire nationale américaine à son contexte atlantique, l’historiographie récente met l’accent sur l’influence de la Révolution haïtienne, de l’abolition de l’esclavage par la Grande-Bretagne dans ses colonies (et son action diplomatique sur ce sujet à partir de 1815) et de l’abolition de l’esclavage par la France en 1848. Par ailleurs, les recherches récentes consacrées à l’essor rapide de l’esclavage à Cuba après 1800 et au rôle joué par le coton dans le développement du capitalisme mondial (Sven Beckert) donnent une idée des obstacles structurels auxquels étaient confrontés les abolitionnistes.
  • Enfin, si le sujet ne porte pas sur le mouvement antiesclavagiste puis abolitionniste nord-américain dans sa diversité organisationnelle, on ne peut ignorer la variété des modalités d’organisation des militants dont on étudie l’expression, (qu’il s’agisse de sociétés abolitionnistes locales ou nationales, de conventions noires, de partis politiques ou d’une presse centrés sur cette question), pas plus que l’hostilité et la violence auxquelles les militants ont été en butte à certaines périodes. La question n’implique pas de connaître précisément tous les militants importants, quelle que soit leur couleur de peau, qui forment surtout après 1830 une impressionnante cohorte.
  • En se concentrant sur les idées, arguments et écrits des militants noirs et blancs, à la suite d’auteurs récents, le sujet invite préparateurs et candidats à se plonger dans un corpus riche, vaste et complexe qui a été produit dès la fin du XVIIIesiècle par des antiesclavagistes aussi bien noirs (les fondateurs, Noirs libres ou libérés dès l’époque de la Révolution américaine, ou anciens esclaves fugitifs) que blancs. Les textes écrits par les antiesclavagistes noirs (dont les récits d’esclaves majoritairement écrits et publiés après 1830) constituent en particulier une ressource unique dans le monde atlantique. Il s’agit d’explorer la richesse argumentative des pamphlets, poèmes, oraisons, discours, articles de journaux, récits de vie, romans, publiés au fil d’une longue période qui vit l’esclavage nord-américain se développer géographiquement et numériquement, le nombre d’esclaves atteignant quatre millions au moment de la guerre de Sécession. Pour les historiens de l’esclavage et de l’antiesclavagisme (John Blassingame, Richard S. Newman, Manisha Sinha, par exemple), ces textes doivent être considérés dans leur ensemble comme autant d’armes au service du combat antiesclavagiste. Ce fut le cas pour les récits d’esclaves qui constituent également des témoignages irremplaçables. Leurs conditions de production sont un autre élément à étudier, révélant l’autonomie et la détermination des auteurs noirs dans un contexte de publication dominé par des éditeurs blancs. Dans les écrits des militants africains-américains s’expriment la volonté de résister, la colère et l’indignation aussi bien que le nationalisme noir, le projet d’émigrer vers des pays plus accueillants (comme le Canada ou Haïti), voire d’organiser un retour vers l’Afrique pour quelques-uns. On y trouve l’affirmation d’une adhésion forteaux valeurs nationales et victoriennes (l’importance de la famille et du mariage, par exemple) comme la recherche d’une citoyenneté égale (à travers le droit de vote, notamment) et le désir d’instruire et de former leur communauté. L’argumentaire des antiesclavagistes blancs se construit initialement autour d’une interprétation antiraciste de la religion chrétienne et d’idées humanistes héritées des Lumières, mais il se fonde également sur une philanthropie ambiguë qui dénonce l’esclavage tout en cherchant à éloigner les Noirs d’une nation blanche par leur installation au Libéria, par exemple, ou en jugeant qu’ils doivent bénéficier d’une transition longue vers la liberté (gradualisme).
  • La position des antiesclavagistes blancs change subitement au début des années 1830, tournant que l’historiographie actuelle (avec des historiens comme Richard S. Newman) attribue aux militants noirs qui réclament l’abolition de l’esclavage sans conditions et sans délai. À partir de cette date, l’argumentaire des antiesclavagistes noirs et blancs converge en partie autour d’une critique de la démocratie états-unienne, d’un rappel de ses principes de liberté originels, d’une dénonciation du capitalisme nord-américain et de la religion chrétienne telle qu’elle est pratiquée dans le Sud. Après le passage du Fugitive Slave Act de 1850, cet argumentaire séduit davantage le public nordiste. C’est l’époque d’un abolitionnisme qui se distingue par son inter-racialisme, même si cette évolution radicale ne peut définir à elle seule la variété de l’argumentaire antiesclavagiste aux Etats-Unis, pas plus que ses diverses configurations.
  • L’abolitionnisme représenta le maillon essentiel d’une profonde reconfiguration de la vie politique et sociale des Etats-Unis, nourrissant l’engagement civique de plusieurs générations de militants, noirs comme blancs. A travers des figures comme celle d’un de ses hérauts, Frederick Douglass (1818-1895), on se rend compte qu’il constitua également le terreau fertile d’un mouvement pour les droits civiques inscrit dans la longue durée (« long civil rights movement », Caroline Rolland-Diamond).

Bibliographie


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