Démocratie en Amérique : politique et société aux Etats-Unis, 1824-1848 (De la)

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-Section en construction.+Andrew Jackson, septième président des États-Unis (1829-1837), est l’une des rares figures politiques dont le nom permet de désigner un moment de l’histoire du pays. C’est à l’étude de ce moment dit jacksonien que les candidats sont invités à se consacrer. Diversement borné par les historiens, il sera abordé dans le cadre du présent sujet sur une période allant de 1824 à 1848.
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 +La période est connue pour ses avancées démocratiques. Considérée avec méfiance par une partie des élites révolutionnaires à la fin du XVIIIe siècle, l’idée démocratique progresse tout au long de la première moitié du XIXe siècle. Cette Amérique où chaque homme blanc a le droit de vote est immortalisée par Alexis de Tocqueville dans ''De la démocratie en Amérique'' (1835-1840), ouvrage publié à l’issue d’un voyage à travers les États-Unis en 1831-1832. L’intérêt que le jeune libéral porte au cas américain ne le rend pas aveugle aux aspects sombres de la démocratie jacksonienne, telle que l’oppression des Noirs et des
 +Amérindiens par les Blancs. Sans être occultée, cette part d’ombre a parfois été marginalisée par les historiens au profit d’une célébration de Jackson comme champion de l’« homme ordinaire » et de son parti comme agent de la démocratie. Cette tradition historiographique a une longue histoire, de ''The Age of Jackson'' d’Arthur M. Schlesinger Jr. (1945) à ''The Rise of American Democracy'' (2005) de Sean Wilentz. Un courant historiographique concurrent, plus récent, met l’accent sur les limites de la démocratie sous la présidence de Jackson et donne à voir une société violente, clivée, inégalitaire. Daniel Walker Howe évite même l’expression d’« Amérique jacksonienne » dans ''What Hath God Wrought'' (2007), afin que la période ne soit pas réduite à la seule figure d’un président controversé.
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 +Sur le plan politique, il convient de s’intéresser aux évolutions en matière de droit de vote. Au cours de la première moitié du XIXe siècle, l’accès au vote est progressivement élargi à l’ensemble de la population masculine blanche. L’intérêt populaire pour les affaires publiques est entretenu par une presse abondante et accessible, tandis qu’un système d’écoles publiques gratuites et un réseau d’institutions civiques contribuent à la politisation des citoyens. L’élargissement du droit de vote s’accompagne d’une démocratisation des institutions, avec l’adoption du « système des dépouilles », le recours au vote populaire pour désigner les grands électeurs ou encore la tenue de conventions nationales pour choisir les candidats à l’élection présidentielle.
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 +À partir de la fin des années 1820, le paysage politique se caractérise par un retour au système des partis (''second party system''). Les démocrates, avec à leur tête Andrew Jackson et son successeur à la Maison-Blanche, Martin Van Buren, s’opposent aux républicains nationaux, plus tard connus sous le nom de whigs. Le Parti whig est favorable à un État fédéral fort au service de la croissance économique et du développement industriel (''American System''). Ses représentants, John Quincy Adams ou Henry Clay, se réclament du progrès et de l’esprit de réforme. Sous la bannière du laissez-faire, le Parti démocrate entend pour sa part préserver la liberté individuelle et la souveraineté des États. Il se présente comme le défenseur du peuple contre une élite supposément corrompue, incarnée notamment par la Banque des États-Unis dont Jackson empêche la charte d’être renouvelée en 1836 (''Bank War'').
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 +Par son discours égalitariste, le Parti démocrate fédère nombre de petits agriculteurs, d’artisans et d’ouvriers, mais la démocratie jacksonienne se caractérise aussi par l’exclusion des minorités ethniques et des femmes. Les Noirs libres qui disposaient du droit de vote en sont largement privés, tout comme les femmes, qu’elles soient noires ou blanches.
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 +Cette démocratisation partielle s’inscrit dans un contexte économique dont il convient d’étudier les effets sociaux et politiques. Au Nord, la période est dominée par ce que l’historien Charles Sellers a appelé la « révolution du marché » : industrialisation et urbanisation, développement des transports et communications, émergence d’une économie capitaliste moderne qui transforme le travail. Alors que l’artisanat décline au profit du travail en usine, une conscience de classe prend corps chez les ouvriers. Les jeunes travailleuses des usines textiles de Lowell, dans le Massachusetts, se mettent en grève pour obtenir
 +la journée de dix heures. Les hommes créent d’éphémères formations politiques (''Workingmen’s Parties'') dans les années 1820 et 1830. La classe ouvrière naissante compte de nombreux immigrants irlandais, qui affluent aux États-Unis dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure. C’est souvent un extrême dénuement qui les attend, ainsi que le rejet xénophobe des nativistes.
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 +Au Sud, l’esclavage s’enracine et s’étend vers l’Ouest à la faveur de l’expansion territoriale, de la culture du coton et de la traite interne des esclaves. L’esclavage trouve de solides appuis au niveau fédéral, où l’on n’hésite pas à bafouer les libertés démocratiques pour faire taire les demandes d’abolition (''gag rule''). Plus l’esclavage fait l’objet de critiques dans l’espace public, plus il est défendu par ses apologistes : le politicien John C. Calhoun en parle en 1837 comme d’un « bien positif » ; quelques années plus tôt, sa défense des intérêts esclavagistes mène à la « crise de la nullification ».
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 +La question indienne est également au cœur du sujet. En 1830, l’''Indian Removal Act'' ouvre la voie à la déportation des « cinq tribus civilisées » du Sud à l’ouest du Mississippi, libérant ainsi des terres pour les agriculteurs blancs. Un quart des Cherokees expulsés de leurs terres en 1838 meurent sur le « sentier des larmes ». Seuls les Séminoles, alliés à des esclaves fugitifs, parviennent à opposer une résistance durable (seconde guerre de Floride, 1835-1842). Dans l’Illinois, la guerre de Black Hawk (1832) décime les Sauks et Fox. Cette politique indienne s’inscrit dans un contexte d’expansion vers l’ouest de la nation dont les années 1840 marquent le point culminant. La « destinée manifeste » des États-Unis ne fait pas pour autant l’objet d’un consensus : la guerre contre le Mexique (1846-1848) donne lieu à de vives controverses.
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 +La société civile, dont Tocqueville souligne la vigueur, prend position sur ces enjeux. Des mouvements sont lancés en faveur d’une démocratie interraciale. L’année de l’accession au pouvoir d’Andrew Jackson est aussi l’année de publication de ''An Appeal to the Colored Citizens of the World'' (1829) de David Walker. Deux ans plus tard, William Lloyd Garrison fonde ''The Liberator'' à Boston. Dans les années 1840, des partis antiesclavagistes radicaux (''Liberty Party'') ou modérés (''Free Soil Party'') sont créés. Les abolitionnistes radicaux dénoncent par ailleurs la déportation des Indiens comme une même attaque contre les droits humains. Les femmes du Nord sont actives sur les deux fronts, ainsi que dans d’autres mouvements de réforme sociale.
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 +Ce réformisme social s’inspire du deuxième Grand Réveil évangélique, ainsi que de diverses formes de spiritualité, de philosophie et d’expériences communautaires. Les ''revivals'' organisés sous la houlette de prédicateurs itinérants tels que Charles G. Finney se veulent de grands rassemblements populaires où un message optimiste de perfectibilité de la nature humaine et de la société est diffusé. Réunis autour de la revue ''The Dial'', les transcendentalistes – Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau, Margaret Fuller – affirment l’égalité de tous les citoyens. Certains participent à la création de Brook Farm, l’une des communautés utopiques fondées pendant la période (New Harmony, Nashoba, Northampton, etc.).
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 +Véritable laboratoire de la démocratie, les États-Unis suscitent l’intérêt de commentateurs étrangers, comme Harriet Martineau, Charles Dickens ou Tocqueville, dont les récits de voyage permettent de mieux comprendre un pays en pleine mutation.
=Bibliographies= =Bibliographies=

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Question de civilisation américaine (option B) au programme de l'agrégation externe 2022 et 2023.

Texte de cadrage

Andrew Jackson, septième président des États-Unis (1829-1837), est l’une des rares figures politiques dont le nom permet de désigner un moment de l’histoire du pays. C’est à l’étude de ce moment dit jacksonien que les candidats sont invités à se consacrer. Diversement borné par les historiens, il sera abordé dans le cadre du présent sujet sur une période allant de 1824 à 1848.

La période est connue pour ses avancées démocratiques. Considérée avec méfiance par une partie des élites révolutionnaires à la fin du XVIIIe siècle, l’idée démocratique progresse tout au long de la première moitié du XIXe siècle. Cette Amérique où chaque homme blanc a le droit de vote est immortalisée par Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (1835-1840), ouvrage publié à l’issue d’un voyage à travers les États-Unis en 1831-1832. L’intérêt que le jeune libéral porte au cas américain ne le rend pas aveugle aux aspects sombres de la démocratie jacksonienne, telle que l’oppression des Noirs et des Amérindiens par les Blancs. Sans être occultée, cette part d’ombre a parfois été marginalisée par les historiens au profit d’une célébration de Jackson comme champion de l’« homme ordinaire » et de son parti comme agent de la démocratie. Cette tradition historiographique a une longue histoire, de The Age of Jackson d’Arthur M. Schlesinger Jr. (1945) à The Rise of American Democracy (2005) de Sean Wilentz. Un courant historiographique concurrent, plus récent, met l’accent sur les limites de la démocratie sous la présidence de Jackson et donne à voir une société violente, clivée, inégalitaire. Daniel Walker Howe évite même l’expression d’« Amérique jacksonienne » dans What Hath God Wrought (2007), afin que la période ne soit pas réduite à la seule figure d’un président controversé.

Sur le plan politique, il convient de s’intéresser aux évolutions en matière de droit de vote. Au cours de la première moitié du XIXe siècle, l’accès au vote est progressivement élargi à l’ensemble de la population masculine blanche. L’intérêt populaire pour les affaires publiques est entretenu par une presse abondante et accessible, tandis qu’un système d’écoles publiques gratuites et un réseau d’institutions civiques contribuent à la politisation des citoyens. L’élargissement du droit de vote s’accompagne d’une démocratisation des institutions, avec l’adoption du « système des dépouilles », le recours au vote populaire pour désigner les grands électeurs ou encore la tenue de conventions nationales pour choisir les candidats à l’élection présidentielle.

À partir de la fin des années 1820, le paysage politique se caractérise par un retour au système des partis (second party system). Les démocrates, avec à leur tête Andrew Jackson et son successeur à la Maison-Blanche, Martin Van Buren, s’opposent aux républicains nationaux, plus tard connus sous le nom de whigs. Le Parti whig est favorable à un État fédéral fort au service de la croissance économique et du développement industriel (American System). Ses représentants, John Quincy Adams ou Henry Clay, se réclament du progrès et de l’esprit de réforme. Sous la bannière du laissez-faire, le Parti démocrate entend pour sa part préserver la liberté individuelle et la souveraineté des États. Il se présente comme le défenseur du peuple contre une élite supposément corrompue, incarnée notamment par la Banque des États-Unis dont Jackson empêche la charte d’être renouvelée en 1836 (Bank War).

Par son discours égalitariste, le Parti démocrate fédère nombre de petits agriculteurs, d’artisans et d’ouvriers, mais la démocratie jacksonienne se caractérise aussi par l’exclusion des minorités ethniques et des femmes. Les Noirs libres qui disposaient du droit de vote en sont largement privés, tout comme les femmes, qu’elles soient noires ou blanches.

Cette démocratisation partielle s’inscrit dans un contexte économique dont il convient d’étudier les effets sociaux et politiques. Au Nord, la période est dominée par ce que l’historien Charles Sellers a appelé la « révolution du marché » : industrialisation et urbanisation, développement des transports et communications, émergence d’une économie capitaliste moderne qui transforme le travail. Alors que l’artisanat décline au profit du travail en usine, une conscience de classe prend corps chez les ouvriers. Les jeunes travailleuses des usines textiles de Lowell, dans le Massachusetts, se mettent en grève pour obtenir la journée de dix heures. Les hommes créent d’éphémères formations politiques (Workingmen’s Parties) dans les années 1820 et 1830. La classe ouvrière naissante compte de nombreux immigrants irlandais, qui affluent aux États-Unis dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure. C’est souvent un extrême dénuement qui les attend, ainsi que le rejet xénophobe des nativistes.

Au Sud, l’esclavage s’enracine et s’étend vers l’Ouest à la faveur de l’expansion territoriale, de la culture du coton et de la traite interne des esclaves. L’esclavage trouve de solides appuis au niveau fédéral, où l’on n’hésite pas à bafouer les libertés démocratiques pour faire taire les demandes d’abolition (gag rule). Plus l’esclavage fait l’objet de critiques dans l’espace public, plus il est défendu par ses apologistes : le politicien John C. Calhoun en parle en 1837 comme d’un « bien positif » ; quelques années plus tôt, sa défense des intérêts esclavagistes mène à la « crise de la nullification ».

La question indienne est également au cœur du sujet. En 1830, l’Indian Removal Act ouvre la voie à la déportation des « cinq tribus civilisées » du Sud à l’ouest du Mississippi, libérant ainsi des terres pour les agriculteurs blancs. Un quart des Cherokees expulsés de leurs terres en 1838 meurent sur le « sentier des larmes ». Seuls les Séminoles, alliés à des esclaves fugitifs, parviennent à opposer une résistance durable (seconde guerre de Floride, 1835-1842). Dans l’Illinois, la guerre de Black Hawk (1832) décime les Sauks et Fox. Cette politique indienne s’inscrit dans un contexte d’expansion vers l’ouest de la nation dont les années 1840 marquent le point culminant. La « destinée manifeste » des États-Unis ne fait pas pour autant l’objet d’un consensus : la guerre contre le Mexique (1846-1848) donne lieu à de vives controverses.

La société civile, dont Tocqueville souligne la vigueur, prend position sur ces enjeux. Des mouvements sont lancés en faveur d’une démocratie interraciale. L’année de l’accession au pouvoir d’Andrew Jackson est aussi l’année de publication de An Appeal to the Colored Citizens of the World (1829) de David Walker. Deux ans plus tard, William Lloyd Garrison fonde The Liberator à Boston. Dans les années 1840, des partis antiesclavagistes radicaux (Liberty Party) ou modérés (Free Soil Party) sont créés. Les abolitionnistes radicaux dénoncent par ailleurs la déportation des Indiens comme une même attaque contre les droits humains. Les femmes du Nord sont actives sur les deux fronts, ainsi que dans d’autres mouvements de réforme sociale.

Ce réformisme social s’inspire du deuxième Grand Réveil évangélique, ainsi que de diverses formes de spiritualité, de philosophie et d’expériences communautaires. Les revivals organisés sous la houlette de prédicateurs itinérants tels que Charles G. Finney se veulent de grands rassemblements populaires où un message optimiste de perfectibilité de la nature humaine et de la société est diffusé. Réunis autour de la revue The Dial, les transcendentalistes – Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau, Margaret Fuller – affirment l’égalité de tous les citoyens. Certains participent à la création de Brook Farm, l’une des communautés utopiques fondées pendant la période (New Harmony, Nashoba, Northampton, etc.).

Véritable laboratoire de la démocratie, les États-Unis suscitent l’intérêt de commentateurs étrangers, comme Harriet Martineau, Charles Dickens ou Tocqueville, dont les récits de voyage permettent de mieux comprendre un pays en pleine mutation.

Bibliographies

Liens utiles