Droit de vote des femmes aux Etats-Unis ,1776-1965 (Le)

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 +Le 26 août 1920, le 19e amendement, qui interdit toute restriction liée au genre dans l’accès au suffrage, était intégré à la Constitution des États-Unis, marquant la fin d’un long combat pour le droit de vote des femmes. Mais si cet amendement fut un moment important dans l’histoire de la démocratie étatsunienne, l’un des enseignements majeurs de l’historiographie récente est qu’il ne peut être considéré comme la fin de la lutte pour le suffrage féminin : si elle commença bien avant 1920, elle se poursuivit longtemps après. Il convient de ce fait de l’étudier sur la longue durée, depuis la Déclaration d’indépendance jusqu’au Voting Rights Act de 1965.
-Section en construction.+Dans un premier temps, il importe de situer les grandes étapes du suffrage féminin dans leur contexte institutionnel. Le droit de vote aux États-Unis n’est pas garanti par la Constitution : il n’apparaît pas dans le texte de 1787, tandis que les 15e (1870) et 19e amendements ne mentionnent que l’impossibilité de le limiter sur la base de l’appartenance ethno-raciale ou du sexe. Aux débuts de la République américaine, le droit de vote relève de la prérogative des États fédérés et est envisagé comme un privilège lié à la propriété plutôt que comme un droit. Si les constitutions votées alors au niveau des États mettent en place le suffrage censitaire masculin, le New Jersey se distingue en accordant le droit de vote aux femmes selon les mêmes conditions de propriété que les hommes. Les historiens ont proposé plusieurs raisons pour élucider cette « exception du New Jersey » (Rosemarie Zagarri), parmi lesquelles le jeu politique partisan. En 1807, la législature de l’État mit un terme à cette exception en limitant le droit de vote aux hommes blancs payant des impôts, avant de s’aligner en 1844 sur l’ensemble des États qui, au cours de la première moitié du XIXe siècle, étendirent le droit de vote à tous les hommes blancs, sans condition de propriété.
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 +Après la Guerre de Sécession, les débats sur les droits des anciens esclaves aboutissent en 1870 à l’adoption du 15e amendement, qui élimine toute restriction liée à l’appartenance ethno-raciale dans l’accès au droit de vote, sans établir le suffrage universel. Il s’agit d’une défaite majeure du suffragisme, malgré la création d’associations comme l’American Equal Rights Association en 1866, l’American Woman Suffrage Association et la National Woman Suffrage Association en 1869. À cette période, le mouvement des suffragettes se divise à cause d’inimitiés personnelles et de désaccords sur le soutien au 15e amendement ; les dissensions relatives aux stratégies à adopter perdurent jusqu’en 1920, même après la réunion de ces associations en 1890. La stratégie dite du « nouveau départ » (new departure) qui vit des centaines de femmes tenter de s’inscrire sur les listes électorales à la fin des années 1860 et au début des années 1870
 +échoua après que la Cour Suprême affirma dans l’arrêt Minor v. Happersett que la Constitution, en particulier le 14e amendement (1868), ne garantissait pas le droit de vote à tous les citoyens. Si l’adoption d’un amendement fédéral sur le modèle du 15e amendement fut l’objectif privilégié par la National Woman Suffrage Association d’abord, puis la Congressional Union for Woman Suffrage et le National Woman’s Party dans les années 1910, les suffragettes s’investirent également dans des campagnes au niveau des États. Le Wyoming devint ainsi en 1869 le premier territoire à voter une loi donnant le droit de vote aux femmes, et en 1890 le premier État où celui-ci est mis en place. Le suffrage féminin fut adopté par référendum dans certains États, notamment de l’Ouest, comme le Colorado en 1893 ou la Californie en 1911. Certaines femmes obtiennent également le droit de vote au niveau local, dans les municipalités, mais aussi dans l’administration des écoles. Ces victoires sont le résultat de stratégies, parfois concurrentes, parfois complémentaires, déployées au fil du temps : de la création de journaux, l’organisation de conventions et de campagnes de pétitions, jusqu’à des stratégies inspirées par des activistes britanniques, telles les parades, et les manifestations devant la Maison-Blanche pendant la Première Guerre mondiale. S’il n’est pas demandé une connaissance fine de toutes ces actions, il convient d’étudier le répertoire des moyens mis en œuvre par les suffragettes comme autant de réponses à des contextes locaux et nationaux, qui aboutissent au soutien public du Président Thomas Woodrow Wilson en 1918, puis au vote du 19e amendement au Congrès en 1919, et à sa ratification en août 1920.
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 +La ratification du 19e amendement ne peut donc se comprendre uniquement d’un point de vue institutionnel, car c’est bien la mobilisation des femmes (et parfois des hommes) sur le temps long qui l’explique. Il est ainsi nécessaire dans un deuxième temps d’étudier les débats sur le droit de vote des femmes depuis la fin du XVIIIe
 +siècle jusqu’en 1920 pour constater la pérennité de certains arguments en faveur du suffrage féminin – par exemple, le discours fondé sur les promesses des droits égaux de la République américaine, l’argument de la complémentarité entre hommes et femmes nécessaire à un gouvernement équilibré et efficace, les services rendus à la nation en temps de guerre, l’imposition. Il n’est pas demandé de connaître l’ensemble des discussions sur le droit de vote des femmes sur toute la période, mais certains moments doivent retenir l’attention : les débats dans le New Jersey entre 1776 et 1807 ; les échanges sur l’opportunité et la nécessité de demander le droit de vote lors des conventions sur les droits des femmes à la fin des années 1840 ; les conflits sur les 14e et 15e amendements qui divisèrent le suffragisme après la Guerre de Sécession ; les débats des années 1910 qui aboutirent à un changement sur la question au sommet de
 +l’État. Il est important de comprendre dans quelle mesure les discours suffragistes répondent également à l’émergence à la fin du XIXe siècle d’un mouvement anti-suffragiste qui s’appuie sur des arguments spécifiques : la question des rôles genrés, l’absence de participation des femmes aux conflits armés, des qualités spécifiquement féminines jugées incompatibles avec une prise de décision rationnelle... Une attention particulière sera portée aux arguments racistes que certaines suffragistes blanches portèrent pendant et après la Reconstruction, opposant suffrage féminin blanc et suffrage masculin noir dans les années 1860, faisant la promotion du droit de vote lié à l’éducation (educated suffrage) et présentant le droit de vote des femmes comme une arme au service du maintien de la suprématie blanche dans le Sud au tournant du XXe siècle.
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 +C’est dans ce contexte qu’il convient d’aborder la troisième thématique, à savoir le combat spécifique des femmes noires pour le droit de vote. Si l’image d’un mouvement suffragiste blanc perdure, notamment à cause des arguments racistes mis en avant par certaines militantes et l’exclusion des femmes de couleur des organisations et actions publiques comme les parades suffragistes dans les années 1910, de nombreuses historiennes à l’instar de Rosalyn Terborg-Penn, et plus récemment Martha Jones et Cathleen Cahill, ont mis en évidence le rôle important joué dans la lutte pour le droit de vote avant et après 1920 par ces femmes marginalisées au sein à la fois du suffragisme et de l’historiographie. L’adoption des lois Jim Crow et le régime de terreur dans le Sud empêchèrent l’accès aux urnes à la grande majorité des femmes et des hommes noirs. En 1940, seuls 3 % des Africains-Américains pouvaient ainsi voter dans le Sud. Il importe d’étudier certaines figures féminines emblématiques qui influencèrent le combat pour le droit de vote, comme Frances Ellen Watkins Harper, Mary Church Terrell, Ida B. Wells-Barnett, et Fannie Lou Hamer. Elles envisageaient le vote comme un moyen de défendre des enjeux propres à la communauté
 +noire à la croisée d’un mouvement qui liait droits des femmes et droits civiques des Noirs (Cathleen Cahill, Martha Jones). Elles furent confrontées à la résistance du mouvement suffragiste blanc avant l’adoption du 19e amendement, ainsi qu’à l’abandon de la cause du droit de vote pour toutes les femmes par de
 +nombreuses militantes blanches après 1920. L’adoption du Voting Rights Act de 1965, qui déclara les restrictions au droit de vote illégales et institua un système de contrôle fédéral sur les lois électorales des États, ne peut être envisagée sans prendre en compte la continuité de leur action sur plus d’un siècle.
=Bibliographies= =Bibliographies=

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Question de civilisation américaine (tronc commun) au programme de l'agrégation externe et interne en 2022 et 2023.

Texte de cadrage

Le 26 août 1920, le 19e amendement, qui interdit toute restriction liée au genre dans l’accès au suffrage, était intégré à la Constitution des États-Unis, marquant la fin d’un long combat pour le droit de vote des femmes. Mais si cet amendement fut un moment important dans l’histoire de la démocratie étatsunienne, l’un des enseignements majeurs de l’historiographie récente est qu’il ne peut être considéré comme la fin de la lutte pour le suffrage féminin : si elle commença bien avant 1920, elle se poursuivit longtemps après. Il convient de ce fait de l’étudier sur la longue durée, depuis la Déclaration d’indépendance jusqu’au Voting Rights Act de 1965.

Dans un premier temps, il importe de situer les grandes étapes du suffrage féminin dans leur contexte institutionnel. Le droit de vote aux États-Unis n’est pas garanti par la Constitution : il n’apparaît pas dans le texte de 1787, tandis que les 15e (1870) et 19e amendements ne mentionnent que l’impossibilité de le limiter sur la base de l’appartenance ethno-raciale ou du sexe. Aux débuts de la République américaine, le droit de vote relève de la prérogative des États fédérés et est envisagé comme un privilège lié à la propriété plutôt que comme un droit. Si les constitutions votées alors au niveau des États mettent en place le suffrage censitaire masculin, le New Jersey se distingue en accordant le droit de vote aux femmes selon les mêmes conditions de propriété que les hommes. Les historiens ont proposé plusieurs raisons pour élucider cette « exception du New Jersey » (Rosemarie Zagarri), parmi lesquelles le jeu politique partisan. En 1807, la législature de l’État mit un terme à cette exception en limitant le droit de vote aux hommes blancs payant des impôts, avant de s’aligner en 1844 sur l’ensemble des États qui, au cours de la première moitié du XIXe siècle, étendirent le droit de vote à tous les hommes blancs, sans condition de propriété.

Après la Guerre de Sécession, les débats sur les droits des anciens esclaves aboutissent en 1870 à l’adoption du 15e amendement, qui élimine toute restriction liée à l’appartenance ethno-raciale dans l’accès au droit de vote, sans établir le suffrage universel. Il s’agit d’une défaite majeure du suffragisme, malgré la création d’associations comme l’American Equal Rights Association en 1866, l’American Woman Suffrage Association et la National Woman Suffrage Association en 1869. À cette période, le mouvement des suffragettes se divise à cause d’inimitiés personnelles et de désaccords sur le soutien au 15e amendement ; les dissensions relatives aux stratégies à adopter perdurent jusqu’en 1920, même après la réunion de ces associations en 1890. La stratégie dite du « nouveau départ » (new departure) qui vit des centaines de femmes tenter de s’inscrire sur les listes électorales à la fin des années 1860 et au début des années 1870 échoua après que la Cour Suprême affirma dans l’arrêt Minor v. Happersett que la Constitution, en particulier le 14e amendement (1868), ne garantissait pas le droit de vote à tous les citoyens. Si l’adoption d’un amendement fédéral sur le modèle du 15e amendement fut l’objectif privilégié par la National Woman Suffrage Association d’abord, puis la Congressional Union for Woman Suffrage et le National Woman’s Party dans les années 1910, les suffragettes s’investirent également dans des campagnes au niveau des États. Le Wyoming devint ainsi en 1869 le premier territoire à voter une loi donnant le droit de vote aux femmes, et en 1890 le premier État où celui-ci est mis en place. Le suffrage féminin fut adopté par référendum dans certains États, notamment de l’Ouest, comme le Colorado en 1893 ou la Californie en 1911. Certaines femmes obtiennent également le droit de vote au niveau local, dans les municipalités, mais aussi dans l’administration des écoles. Ces victoires sont le résultat de stratégies, parfois concurrentes, parfois complémentaires, déployées au fil du temps : de la création de journaux, l’organisation de conventions et de campagnes de pétitions, jusqu’à des stratégies inspirées par des activistes britanniques, telles les parades, et les manifestations devant la Maison-Blanche pendant la Première Guerre mondiale. S’il n’est pas demandé une connaissance fine de toutes ces actions, il convient d’étudier le répertoire des moyens mis en œuvre par les suffragettes comme autant de réponses à des contextes locaux et nationaux, qui aboutissent au soutien public du Président Thomas Woodrow Wilson en 1918, puis au vote du 19e amendement au Congrès en 1919, et à sa ratification en août 1920.

La ratification du 19e amendement ne peut donc se comprendre uniquement d’un point de vue institutionnel, car c’est bien la mobilisation des femmes (et parfois des hommes) sur le temps long qui l’explique. Il est ainsi nécessaire dans un deuxième temps d’étudier les débats sur le droit de vote des femmes depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’en 1920 pour constater la pérennité de certains arguments en faveur du suffrage féminin – par exemple, le discours fondé sur les promesses des droits égaux de la République américaine, l’argument de la complémentarité entre hommes et femmes nécessaire à un gouvernement équilibré et efficace, les services rendus à la nation en temps de guerre, l’imposition. Il n’est pas demandé de connaître l’ensemble des discussions sur le droit de vote des femmes sur toute la période, mais certains moments doivent retenir l’attention : les débats dans le New Jersey entre 1776 et 1807 ; les échanges sur l’opportunité et la nécessité de demander le droit de vote lors des conventions sur les droits des femmes à la fin des années 1840 ; les conflits sur les 14e et 15e amendements qui divisèrent le suffragisme après la Guerre de Sécession ; les débats des années 1910 qui aboutirent à un changement sur la question au sommet de l’État. Il est important de comprendre dans quelle mesure les discours suffragistes répondent également à l’émergence à la fin du XIXe siècle d’un mouvement anti-suffragiste qui s’appuie sur des arguments spécifiques : la question des rôles genrés, l’absence de participation des femmes aux conflits armés, des qualités spécifiquement féminines jugées incompatibles avec une prise de décision rationnelle... Une attention particulière sera portée aux arguments racistes que certaines suffragistes blanches portèrent pendant et après la Reconstruction, opposant suffrage féminin blanc et suffrage masculin noir dans les années 1860, faisant la promotion du droit de vote lié à l’éducation (educated suffrage) et présentant le droit de vote des femmes comme une arme au service du maintien de la suprématie blanche dans le Sud au tournant du XXe siècle.

C’est dans ce contexte qu’il convient d’aborder la troisième thématique, à savoir le combat spécifique des femmes noires pour le droit de vote. Si l’image d’un mouvement suffragiste blanc perdure, notamment à cause des arguments racistes mis en avant par certaines militantes et l’exclusion des femmes de couleur des organisations et actions publiques comme les parades suffragistes dans les années 1910, de nombreuses historiennes à l’instar de Rosalyn Terborg-Penn, et plus récemment Martha Jones et Cathleen Cahill, ont mis en évidence le rôle important joué dans la lutte pour le droit de vote avant et après 1920 par ces femmes marginalisées au sein à la fois du suffragisme et de l’historiographie. L’adoption des lois Jim Crow et le régime de terreur dans le Sud empêchèrent l’accès aux urnes à la grande majorité des femmes et des hommes noirs. En 1940, seuls 3 % des Africains-Américains pouvaient ainsi voter dans le Sud. Il importe d’étudier certaines figures féminines emblématiques qui influencèrent le combat pour le droit de vote, comme Frances Ellen Watkins Harper, Mary Church Terrell, Ida B. Wells-Barnett, et Fannie Lou Hamer. Elles envisageaient le vote comme un moyen de défendre des enjeux propres à la communauté noire à la croisée d’un mouvement qui liait droits des femmes et droits civiques des Noirs (Cathleen Cahill, Martha Jones). Elles furent confrontées à la résistance du mouvement suffragiste blanc avant l’adoption du 19e amendement, ainsi qu’à l’abandon de la cause du droit de vote pour toutes les femmes par de nombreuses militantes blanches après 1920. L’adoption du Voting Rights Act de 1965, qui déclara les restrictions au droit de vote illégales et institua un système de contrôle fédéral sur les lois électorales des États, ne peut être envisagée sans prendre en compte la continuité de leur action sur plus d’un siècle.

Bibliographies

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