Civilisation: Programme 2006

 

William Morris

News from Nowhere représente à la fois un point d’aboutissement dans le parcours intellectuel de Morris (1834-1896), un apogée dans le développement de la littérature utopique, le lieu de confluence de plusieurs courants d’idées majeurs du XIXèmesiècle. L’exploration de son contenu et de son contexte, biographique et historique, peut être riche d’enseignements sur un moment-clef dans le développement du socia- lisme britannique. On ne saurait sous-estimer sa pertinence aux débats idéologiques contemporains sur la fin de l’histoire, sur la signification que peuvent avoir la notion de justice sociale et, plus encore, le rêve d’une société parfaite, dans un monde où les lois du marché semblent vouées à prévaloir. Après avoir envisagé d’entrer dans les ordres, Morris se tourne vers une religion de l’art à laquelle il substitue plus tard un engagement politique intense. Cependant, ce cheminement de la foi vers l’esthétisme qui se poursuit et se conclut par un appel à la révolution s’opère sans rupture, mais bien plutôt par accrétion. Au cours de sa période pré-raphaélite, Morris défend, avec Edward Burne-Jones et Dante Gabriel Rossetti, une doctrine qui assigne à l’art une valeur morale et spirituelle rédemptrice, en même temps qu’une vertu critique vis-à-vis de la société industrielle. Son adhésion ultérieure au socialisme prend forme de conversion et, simultanément, se nourrit de la volonté de réconcilier l’art et la vie pour rendre au monde la beauté, aux hommes la créativité que le capitalisme leur a fait perdre. Se réclamant de Marx, Morris ne cesse pas d’être le disciple de Ruskin et de Carlyle. News from Nowhere offre la synthèse de ces aspirations et de ces influences. Dans la lignée de L’Utopie de Thomas More (à laquelle son titre est une allusion transparente), de La Nouvelle Atlantide de Francis Bacon et des classiques du genre, l’oeuvre fournit le récit d’un voyage vers une société où règnent justice, égalité, bien-être et harmonie. La projection s’opère dans le temps, et non pas dans l’espace. Autres spécificités, la situation dépeinte est le résultat d’une révolution violente, posée comme préalable nécessaire ; elle se caractérise par un climat de liberté, une absence de contrainte qui traduit le dépérissement réalisé de l’État ; elle témoigne d’un respect de la nature, d’un souci de la satisfaction des désirs humains les plus profonds (et non pas seulement des besoins), où se perçoit le rejet de toute vision mécaniste de la vie. Dans l’Angle- terre régénérée du XXIIème siècle, la fin de l’aliénation économique a pour corollaire le bonheur de se livrer à un travail créateur par lequel chacun s’accomplit dans son être et contribue à embellir l’environnement social. L’éthique de la société organique du Moyen Age y revit. Les nostalgies médiévales de Morris sont toujours palpables, bien qu’elles aient été beaucoup plus fortement manifestées dans un autre plaidoyer révolutionnaire en prose, A Dream of John Ball (1886-1887).

Par là, News from Nowhere se lit également comme une critique de l’utopie d’Edward Bellamy, Looking Backward (1888), que Morris jugeait fondée sur une idéologie matérialiste, étrangère à toute préoccupation esthétique, irrémédiablement marquée par une conception utilitaire et rémunératrice - en somme, bourgeoise - du travail : un socialisme dont il trouvait de fâcheux échos dans la doctrine exposée par les Fabiens. Les Fabian Essays on Socialism (1889), publiés sous la direction de Bernard Shaw, représen- taient, à ses yeux, le triomphe d’une interprétation technocratique de la révolution. Encore ses auteurs, en bons disciples de Comte et de Darwin, s’en remettaient-ils, bien à tort selon lui, aux lois de l’évolution historique pour faire advenir pacifiquement le socialisme. News from Nowhere est l’œuvre du fondateur de la Ligue Socialiste (créée en 1884), qui, avec Edward Aveling, Eleanor Marx et quelques autres, a fait sécession de la Fédération Social- Démocrate de Henry Hyndman, bien que celui-ci fût également marxiste, en raison de ses ten- dances autoritaires. La portée du livre s’appréciera pleinement si on le resitue dans le contexte de ces débats décisifs qui voient le mouvement ouvrier hésiter entre des stratégies diverses. Bientôt naîtra (en 1906) un parti travailliste dans lequel l’inspiration fabienne l’em- portera et restera longtemps dominante. La crise du socialisme étatique qui surviendra à la fin du XXèmesiècle, la montée des préoccupations écologiques, redonneront vie à la tradition utopique dont, après Robert Owen, Morris est un représentant authentique et singulier. La crise contemporaine des utopies peut trouver des éléments d’explication dans les apories et les contradictions que recèle sa “romance”.

 

Thomas Jefferson et l'Ouest

L’expansion territoriale trans- Mississipi s’inscrit à la charnière des deux mandats présidentiels de Jefferson (1801-1808). Elle participe d’un mouvement historique qui trouve notamment ses sources dans la Land Ordinance (1785) et la Northwest Ordinance (1787). L’achat de la Louisiane à la France en 1803 ouvre des perspectives multiples comme l’exploration et la découverte de la “wilderness” extraordinairement riche en vie sauvage, la recherche de voies de communication trans- continentales qu’inspire le mythe du Passage du Nord-Ouest et la vision géostratégique d’une forte présence américaine aux confins de colo- nies européennes. L’expédition de Lewis et Clark (1804-1806) que lance Jefferson répond ainsi au dessein de jalonner les nouveaux territoires acquis, d’en fixer les frontières et de pousser jusqu’au Nord-Ouest pacifique.

Sous l’autorité de Meriwether Lewis et de William Clark, le “Corps de la découverte” remonte le Missouri depuis son confluent avec le Mississipi, en accédant aux affluents et aux zones voisines. Fondée sur une cartographie qui demeure aléatoire, l’étude du réseau hydrogra- phique vise à trouver le moyen le plus direct de traverser les Grandes Plaines, les Rocheuses et, suivre le bassin de la Columbia jusqu’à la côte du Pacifique.

 

 

Si l’objectif majeur est à la fois politique, commercial et diplomatique, il s’accompagne aussi d’observations géologiques, botaniques, biolo- giques et anthropologiques. Il s’agit en outre de démontrer l’inanité de théories nées dans l’Europe des Lumières sur la fatale dégénérescence des organismes vivants en Amérique. L’exploration ne saurait seulement se définir comme un parcours sur une terra incognita. Négociants et guides francophones sont souvent liés à la traite des fourrures et des peaux sous l’égide de com- pagnies rivales, entre Saint-Louis et Montréal. Le succès de l’expédition leur doit beaucoup. Lewis et Clark entendent quant à eux instituer des rapports avec le monde indien en excipant de l’autorité du “Great Father” de Washington. Mais la représentation que l’on peut avoir de ce peuple natif à travers le récit des membres de l’expédition est contrastée. Certaines nations sont rompues aux pratiques des trappeurs et des marchands, d’autres sont sur leurs gardes, voire hostiles.

Après deux années et 7000 miles, l’expédition qui regagne Saint-Louis est en mesure d’évaluer les enjeux que s’est fixés Jefferson. Nombre d’éléments entrent dans la problématique de ce prélude au mouvement vers l’Ouest. On citera, par exemple, la constitution graduelle d’un empire agrarien, les contacts avec des chefs indiens pour détourner les tribus de la chasse et les convertir à l’agriculture, le constat des aléas de la navigation entre le Mississipi et la Columbia avec la longueur des portages. Au travers de l’expédition, Jefferson entend aussi contester l’hégémonie des compagnies canadiennes sur la fourrure et les revendications territoriales des colonies espagnoles du Sud-Ouest, comme l’indique en outre l’expédition de Zebulon Pike en 1806, et, au final, bâtir “l’empire de la liberté”. L’idéologie jeffersonienne se nourrit, cependant, d’ambiguïtés dont la moindre n’est pas sa volonté de faire entrer les Indiens dans le giron de la civilisation américaine tout en accaparant leurs terres.

 

Le Schisme d'Henry VIII

C’est peu de dire que le schisme dont Henri VIII prit l’initiative eut des conséquences historiques décisives pour l’Angleterre et pour ce qui allait devenir le monde anglophone. Dû apparemment à des causes d’ordre privé, l’événement découvrit rapidement les enjeux multiples dont il était porteur et qui allaient bien au-delà d’une simple question conjugale : enjeux religieux, certes, mais aussi politiques, juridiques, diplomatiques et culturels. Ce sont la monarchie, la société et la nation anglaises qui sortirent transformées de cet épisode. Le rapport de l’Angleterre à l’Europe en fut affecté de manière profonde et durable. La dimension biographique du sujet n’est pas dépourvue d’intérêt eu égard à la personnalité du monarque, à la durée et à la richesse de son règne. Les aspects dynastiques méritent égale- ment d’être pris en compte. On saisira mieux les causes et les effets du schisme en considérant :
. l’arrière-plan religieux. Il faut entendre par là les signes annonciateurs de la Réforme au Moyen Age (enseignements de Wyclif et mouvement lollard) ; la situation et la place de l’Église en Angleterre au début du XVIe siècle; la propagation des idées protestantes dans le pays, ardemment combattue par le “Défenseur de la Foi” Henri VIII mais qui facilita la mise en œuvre de sa politique.
. le processus et les étapes du schisme. Il conviendra d’examiner les formes que prit la séparation de Rome : négociations avec le pape au sujet du divorce, actes de suprématie, dissolution des monastères, confiscations de terres et de biens d’Église, avec les conséquen- ces socio-économiques à long terme qu’entraî- nèrent ces dernières mesures.
. la signification théologico-politique de l’évé- nement. Le schisme se déroula sur un horizon européen marqué par le modèle de la monarchie de droit divin. Il traduisit la diffusion, dans le contexte anglais, d’un césaro-papisme auquel la Réforme d’inspiration luthérienne contribua notablement sur le continent.
la dimension politico-juridique. Fruit d’une dynamique de pouvoirs complexe associant un souverain tout-puissant et un Parlement docile mais doté de compétences bien réelles, la sépa- ration accusa le caractère absolutiste de la monarchie en même temps qu’elle consacra la montée en puissance de l’institution parlementaire. Elle conféra à la “Constitution Tudor” une large part de ses caractères propres. Il n’est pas illégitime de dire qu’elle créa les conditions des conflits qui devaient éclater au XVIIe siècle.
. le contexte culturel. Les décisions d’Henri VIII font sens dans la mesure où on les rapporte à un climat où dominent, à la fois, les préoccupations humanistes et l’affirmation de l’identité natio- nale. Quoi qu’il en fût de la volonté du souve- rain sur ce point, les premières traductions de la Bible dans la langue vernaculaire fournissent une illustration majeure de cette affirmation. Chantre de l’obéissance passive au prince et, simultanément, traducteur-martyr de l’Écriture Sainte, William Tyndale est le champion d’une culture purifiée des modes de pensée et d’expression scolastiques. Paradoxalement, l’humanisme auquel on peut l’associer trouve aussi certains de ses représentants les plus éminents chez les martyrs catholiques comme Thomas More.

Il sera important de parvenir à une interprétation nuancée de cet ensemble de données histo- riques. À cette fin, on examinera les réactions populaires à la politique religieuse henricienne, l’attitude du clergé, les résistances à la séparation. On s’interrogera sur les limites de cette phase initiale de la Réforme anglaise. À la mort d’Henri VIII, l’Église d’Angleterre est-elle irrémédiablement séparée de Rome ? Schismatique, peut-elle être décrite comme protestante? Sa doctrine officielle est encore catholique (voir l’Acte des Six Articles), comme ses structures internes. L’expérience de la restauration tentée par Marie Tudor semblerait indiquer que l’éloignement de Rome n’était pas irréversible. Pourtant, la vigueur du courant gagné aux idées de la Réforme, chez les clercs comme chez les laïcs, sera attestée par les exilés mariens et par la rapidité des transformations opérées, sous leur impulsion, au temps d’Édouard VI et d’Élisabeth. Un bref regard sur le règne des enfants d’Henri VIII tend à confirmer que le schisme fut bien l’épisode central du siècle et qu’il conditionna l’histoire ultérieure de l’Angleterre.

 

Une philosophie de l'éducation: John Locke

Une philosophie de l’éducation : John Locke, Some Thoughts Concerning Education (1693).

Édition suggérée : Some Thoughts Concerning Education and Of the Conduct of the Understanding, éd. Ruth W. Grant & Nathan Tarcov, Indianapolis, Hackett Publishing Company, 1996.

 

Source: Bo Spécial n°5 du 19 mai 2005