États-Unis et l’Amérique latine, de Franklin D. Roosevelt à Barack Obama, 1933-2017 (Les)

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Question de civilisation américaine (tronc commun) au programme de l'agrégation externe et interne en 2024 et 2025.

Texte de cadrage

Le sujet proposé porte sur les relations entre les États-Unis et l’Amérique latine, entre 1933, lorsque Franklin D. Roosevelt érige sa Politique de bon voisinage, renforçant ainsi l’initiative de son prédécesseur républicain, et 2017, après les efforts de Barack Obama pour normaliser les relations avec Cuba. La période couvre donc trois grands moments historiques : avant, pendant et après la guerre froide. Une attention toute particulière sera portée tout au long de la période étudiée à ce que l’on a appelé « l’arrière-cour » des États-Unis (Mexique, Amérique centrale, Caraïbes), considérée par Washington comme sensible pour sa sécurité, d’où les multiples interventions dans la région. Les flux, légaux ou illégaux (économiques, commerciaux, migratoires), entre les deux zones y sont également historiquement étroits. Par contraste, les relations avec les pays d’Amérique du Sud, de la Colombie au Chili à l’Ouest, du Venezuela à l’Argentine à l’Est, apparaissent plus distantes, et n’occupent une place centrale qu’en cas de menace stratégique, comme ce fut le cas pendant la guerre froide (notamment Chili, Brésil et Argentine) ou, plus tard, dans la lutte contre le narcotrafic (Colombie notamment).

Si Washington détermine le plus souvent la teneur des relations avec l’Amérique latine, nombreux sont les exemples d’initiatives prises par les présidents latino-américains et suivies ou renforcées par les États-Unis. La permanence de la posture stratégique états-unienne sur le long terme, en dépit de variations circonstancielles, sera analysée à partir de plusieurs concepts clés : celui de « Western Hemisphere » et d’unicité des Amériques ; les concepts de sécurité, d’hégémonie, d’asymétrie, d’unilatéralisme et de multilatéralisme, de « regime change », d’antiaméricanisme, de modernisation, d’interdépendance et, pour la fin de la période, de multipolarité.

D’un point de vue historiographique, on distinguera particulièrement trois écoles : « l’establishment » ou l’interprétation « traditionnelle », qui tend à mettre l’accent sur la sécurité comme principale origine des décisions de Washington ; les « révisionnistes », qui insistent sur la primauté des intérêts économiques et voient la relation avec l’Amérique latine comme impérialiste ; enfin, plus récente, l’approche « internationaliste » s’intéresse à tous les acteurs, états-uniens, latino-américains mais aussi, le cas échéant, soviétiques, et relativise le poids de l’hégémon états-unien.

1. Les enjeux sécuritaires et démocratiques

Dominant les relations entre les États-Unis et l’Amérique latine depuis la doctrine de Monroe (1823), la sécurité marque l’intégralité de la période étudiée. Sous la houlette de Washington, malgré quelques vicissitudes, la coopération élaborée lors de la Deuxième Guerre mondiale (accords de défense et de sécurité, coopération militaire et économique) jette les bases de la future organisation interaméricaine au début de la guerre froide. Les États-Unis mettent alors en place une architecture de sécurité (traité de Rio, Organisation des États américains, traités bilatéraux d’aide militaire, École des Amériques...), puis n’hésitent pas à intervenir, directement ou indirectement, pour démettre tout régime proche de Moscou ou susceptible de le devenir, ou bien empêcher son arrivée au pouvoir. C’est le cas au Guatemala (1954), à Cuba à partir de 1961, au Brésil (1964), en République dominicaine (1965), au Chili (1964-73), au Nicaragua et plus généralement en Amérique centrale dans les années 1980, ainsi qu’à la Grenade (1983). Les ressorts de ces interventions, déterminants intérieurs et extérieurs, processus de prise de décision à Washington, conséquences, seront à considérer. L’intervention au Panama, en 1989, est la seule à ne pas être liée à la lutte contre l’expansion communiste. Si Washington soutient des dictatures militaires peu respectueuses des droits de l’homme mais perçues comme alliées dans cette lutte jugée prioritaire, la promotion de la démocratie, souvent éclipsée par l’anticommunisme, n’est cependant pas absente (Alliance pour le Progrès, politique des droits de l’homme [1975-1980], aide aux mouvements démocratiques). Elle deviendra l’une des priorités de la politique latino-américaine des États-Unis et le cœur de l’action de la communauté cubaine-américaine dans l’après-guerre froide. C’est également au nom d’une vision démocratique des relations interaméricaines que Carter signe les traités cédant à terme la gestion et la défense du canal au Panama (1977). Sur toute la période, on prêtera une attention particulière à la relation avec Cuba dont la Révolution castriste, au pouvoir dès 1959, a conditionné l’essentiel de la politique des États-Unis dans la région, au nom de « Plus jamais d’autres Cuba ».

La chute de l’URSS semble marquer la disparition de la menace exogène dans les Amériques. La lutte contre la production, le trafic de drogue, et la violence afférente devient alors l’un des axes prioritaires de Washington sur le continent et impacte la gestion de la frontière avec le Mexique. Des programmes de sécurité et de « guerre » contre le narcotrafic tels que l’Initiative andine, le Plan Colombie, l’Initiative Mérida et ses déclinaisons, ou CARSI en Amérique centrale, ponctuent toute la période 1989-2017.

La menace extracontinentale réapparaît cependant au XXIe siècle. Les attentats du 11 septembre amènent à resserrer la coopération en termes de renseignement et d’antiterrorisme ; enfin, la Chine effectue une telle percée sur le continent qu’elle devient pour les États-Unis un véritable rival stratégique. C’est le retour de la doctrine de Monroe et, pour Washington, un nouveau défi.

2. Relations économiques, développement, politiques migratoires

Ces aspects accompagnent le plus souvent les politiques sécuritaires. Ainsi, le programme migratoire Bracero (1942-1964) permet à l’économie américaine de maintenir sa production pendant l’effort de guerre. Les migrations émanant de pays marxistes ou susceptibles de le devenir sont instrumentalisées. L’exode cubain vers les États-Unis devient ainsi une arme de propagande pendant la guerre froide. Des politiques supplétives sont renforcées ou mises en place pour favoriser le développement, perçu comme facteur de résistance au communisme international (commerce —« trade, not aid »—, programmes d’aide, Alliance pour le Progrès, Peace Corps, et plus généralement actions de l’Agence pour le développement international). Dès 1990, des mesures tentent d’aider certains pays via leur population en situation irrégulière aux États-Unis (Temporary Protected Status) ; plus tard, Washington élabore une approche holistique pour réduire les flux migratoires, notamment depuis les pays du Triangle Nord (Guatemala, Honduras, Salvador, 2014-2017).

Par ailleurs, les mesures différenciées prises à l’encontre des pays expropriant des compagnies américaines (par exemple Mexique, 1938 ; Guatemala, 1952-54 ; Cuba, 1960-62 ; Pérou, 1968-69 ; Chili, 1970-73) peuvent être interprétées à l’aune du risque politique perçu par Washington.

Pour résoudre les difficultés économiques endémiques de l’Amérique latine, Washington prône la privatisation, la mise en concurrence ainsi que le libre-échange, incarné dès 1992 par l’Accord de libre-échange nord-américain, suivi d’accords bilatéraux (Chili, Colombie, Panama, Pérou) ou régionaux (CAFTA-DR avec l’Amérique centrale et la République dominicaine). Au XXIe siècle, les Sud-Américains se tournent ostensiblement vers d’autres partenaires, dont la Chine. Les États-Unis « perdraient »-ils l’Amérique latine ?

3. Les acteurs

Rares sont les présidents qui ont mis en place une politique spécifique et structurée à l’égard de l’ensemble de l’Amérique latine, la plupart réagissant au gré des événements, le plus souvent en fonction du contexte international. Outre le président, on prêtera attention à l’influence de certains responsables des affaires latino- américaines, à la Maison Blanche ou au département d’État, ainsi qu’aux différents départements concernés et aux actions de la CIA. On s’intéressera également aux rapports (par exemple Rockefeller, 1969 ; Linowitz, 1974 et 1976 ; Kissinger, 1983) qui ont pu influencer la politique de l’exécutif.

Si l’idéologie des présidents et de leurs conseillers est soumise à de multiples contraintes imposées par les circonstances, il existe des différences notables entre ceux ayant perçu l’Amérique latine principalement au travers d’un prisme sécuritaire, et ceux qui ont tenté une approche holistique (Roosevelt et Kennedy dans une certaine mesure, Carter, Obama). Ces nuances idéologiques seront prises en compte dans l’analyse des relations.

Le système états-unien de pouvoirs et contre-pouvoirs et de démocratie pluraliste conduit également à s’intéresser au Congrès, où les débats permettent d’éclairer les enjeux pour la politique américaine et de révéler le jeu des influences. Le Congrès a pris des initiatives importantes guidant les relations interaméricaines, par exemple en matière d’expropriations, de droits de l’homme, de limites à toute intervention au Nicaragua (1982-1984), de lutte contre le narcotrafic, ou bien à l’égard de Cuba, entravant parfois la volonté de l’exécutif.

Afin de restreindre le périmètre d’étude, on limitera l’analyse aux acteurs états-uniens au plus haut niveau politique, essentiellement l’exécutif et le Congrès. Selon les circonstances, des syndicats, des ONG, des fondations, des chambres de commerce, l’Église catholique ou d’autres groupes religieux, pour ne citer que quelques exemples, ont pu influencer l’action gouvernementale, œuvrer avec ou contre elle. Il importe de tenir compte de cette dimension plus complexe, même si elle ne constitue pas le cœur du sujet.

Zone d’influence majeure des États-Unis, où s’exercent tous les ressorts de leur puissance mais aussi leurs faiblesses, l’Amérique latine, « étranger proche », reste étroitement liée à leur histoire politique et sociale. Unissant politique étrangère et déterminants intérieurs, l’étude de ces relations entre Nord et Sud sur le temps long permet de mieux appréhender la réalité et les débats de l’Amérique d’aujourd’hui.

Bibliographies

Liens utiles