L'abbé Grégoire
et la
Première Abolition de l'Esclavage

Si l'oeuvre de Victor Schoelcher fut pérenne, on ne saurait passer sous silence la première abolition de l'escalvage votée en février 1794 sur proposition de Levasseur, Danton et Lacroix, à la suite des mesures réclamées par l'Abbé Grégoire, soit bien avant, à une époque où les esprits étaient encore moins prêts.

Il est bon de rappeler leur mémoire, même si Napoléon revint sur la mesure afin de satisfaire sa
(plantureuse?) planteuse Joséphine Tascher de la Pagerie....

Voici ce que l'abbé Grégoire écrivait à ce sujet dans ses Mémoires, rédigés après le rétablissement de l'esclavage par Napoléon, où il justifie son parti pris d'alors pour une émancipation progressive par le retour de balancier ultérieur.

« Des objets d'un autre genre appelèrent bientôt mon attention. Des planteurs de Saint-Domingue, se disant nommés par les assemblées coloniales, demandèrent leur admission aux Etats-Généraux ; ce qui amenait naturellement la question suivante: Les nègres et mulâtres libres et esclaves figurent-ils dans le
nombre de vos commettans ? telle était la dépravation des moeurs et l'altération des idées saines dans les colonies, que toutes les vertus, tous les talens réunis dans la personne d¬un noir ou d¬un sang-mêlé, n'auraient pu lui obtenir de partager les avantages que s'arrogeait exclusivement la caste européenne. Des colons eussent rougi d'avoir pour épouses des négresses, qu'ils ne rougissaient pas d'avoir pour concubines. A l'église même, et jusq'à la table de communion, où tout rappelle l'égalité, le blanc eût refusé le voisinage d'un esclave.

Pour régulariser la marche de la discussion, une conférence eut lieu entre Lafayette, Mirabeau, Condorcet et moi, chez le duc de la Rochefoucauld, qui a été égorgé à Gisors de la manière la plus barbare ; tous étaient membres de l'Assemblée nationale, excepté Condorcet qui partageait nos principes, et qui, sous le nom de Schwartz, avait publié une brochure relative à la question qui
nous réunissait. Nous fûmes d¬avis unanime que les nègres et les mulâtres
libres devaient être assimilés aux blancs par les droits politiques et civils, et que quant aux esclaves il ne fallait pas brusquer leur émancipation, mais les amener graduellement aux avantages de l'état social : ainsi pensaient également Brissot, Wadstrom, Pétion, Lanthenas, etc., et toute la société des Amis des Noirs dont j'étais membre ; ainsi pensent MM. Wilberforce, Barlow, Fox, Clarkson, Thorneton, Grandville-Sharp, avec lesquels je formai des liaisons ; ainsi pensent les sociétés établies dans les Etats-Unis pour améliorer le sort des nègres, et qui m'envoyent annuellement les procès-verbaux de leur convention centrale à Philadelphie. On conçoit dès lors que l¬émancipation subite prononcée par le décret du 16 pluviose an II, qu'avait provoquée Levasseur (de la Sarthe), nous parut une mesure désastreuse: elle était en politique ce qu'est en physique un volcan.

D'après le plan que nous avions conçu, nous travaillâmes d'abord à éclairer l'opinion ; j'ai publié successivement sur cette matière : «Mémoire en faveur des gens de couleur et de sang-mêlé, in-8. 1789.« Lettre aux philantropes sur les malheurs, les droits et les réclamations des gens de couleur, in-8. 1790.
« Mémoires sur la colonie de Sierra-Leone.
« Lettre aux citoyens de couleur et nègres libres.
« Apologie de Barthélemi de Las-Casas, in-4°, dans les Mémoires de l'Institut.»

J'ai lu à cette société savante l¬histoire de ce qu¬on a fait dans les divers siècles et les divers pays en faveur de la liberté des nègres. Cet ouvrage assez volumineux verra le jour en Amérique, si la pensée est enchaînée en Europe.

Bientôt paraîtront en Amérique et en Allemagne les traductions allemande et anglaise de mon ouvrage sur les qualités morales et intellectuelles et sur la littérature des nègres, dont l'original est inédit.

Sieyes, Tracy, Rewbell et quelques autres plaidèrent ainsi que moi la cause de la justice ; après une incroyable résistance de la part des marchands de chair humaine, nous obtînmes enfin, ou plutôt nous arrachâmes à l'Assemblée, les instructions du 28 mars 1790 et le décret du 15 mai, qui admettaient les nègres et les sang-mêlés à la jouissance des droits politiques et civils.

Une somme de deux millions et demi était prostituée annuellement en primes accordées par le gouvernement pour faire la traite, c'est-à-dire le commerce du crime ; long-temps après, sous la Convention, le 27 juillet 1793, j'obtins enfin la suppression de cette dépense scandaleuse.

Mais revenons à nos colons. Rien ne m'a donné une preuve plus complète, plus douloureuse de la perversité dont est capable l¬espèce humaine que leur conduite dans cette discussion ; leur rage (car il faut nommer les choses par leur nom) était en raison inverse de leurs raisons. On conçoit qu'une des premières impostures fut que nous avions reçu de l¬argent des nègres ; et quoique Raymond, l'agent des hommes de couleur à Paris, ait donné le démenti le plus formel, la calomnie qui assure toujours, disait Mirabeau, et qui ne prouve jamais, répéta et répétera peut-être la même assertion ; témoin Bertrand de Molleville, ancien ministre de la marine, qui publie à Londres des rapsodies volumineuses, vantées par les émigrés et lues je ne sais par qui. A l'entendre, des sommes considérables avaient été réparties entre Brissot, Condorcet, Pétion et moi, pour stimuler notre zèle en faveur des noirs et des sang-mêlés : j'avais même, selon quelques planteurs, touché des millions, ce qui, joint à d'autres millions de la part des juifs, devait me placer au rang de Crésus.

Ces calomniateurs sont donc bien vils, puisque, jugeant sans doute d'après leur coeur, ils ne croient pas à la vertu désintéressée. Tantôt, disaient-ils, je défendais les Africains parce que j'avais une belle-soeur mulâtresse, quoique je n'eusse ni frère, ni soeur ; tantôt nous étions des hommes vendus à l'Angleterre ; telle est l¬analyse de cinq à six cents libelles vomis contre nous. Je suis fâché d'avoir vu dans les rangs de mes adversaires des hommes tels que Moreau-Saint-Méry, distingué d'ailleurs par ses talens, ses écrits et ses services ; Chabanon, que je déconcertai en lui proposant de rendre compte moi-même de son ouvrage contre moi, dans les journaux, qui tous gardaient le silence sur ce pamphlet mort-né ; Bryan Edwards, qui aurait dû se respecter assez pour ne pas souiller ses ouvrages en répétant des impostures. Un je ne sais quel Playfair, qui, dans ce qu'il appelle une Histoire du jacobinisme , après avoir vomi ses malédictions sur le clergé constitutionnel et sur Condorcet, Brissot, etc., assure que « Grégoire, ce cannibale philosophe, ayant appris que les nègres avaient pris pour étendard un enfant empalé, et qu'ils massacraient les blancs, s'écria que c'était le plus beau jour de sa vie. » Je maintiens qu'il est utile pour la cause des noirs et de l'humanité de faire connaître à quels excès de démence sont arrivés nos adversaires.

Si du moins chez nous les colons s'étaient bornés aux calomnies! je leur pardonne volontiers de m'avoir pendu en effigie au cap, à la porte de la poste et à Jérémie ; d'avoir ouvert, dit-on, à Nantes une souscription secrète pour me faire assassiner ; j'ai eu le bonheur de rendre service à plusieurs d'entre eux, et je désire en trouver des occasions nouvelles.

Mais ce pauvre Brissot a eu pour accusateurs au tribunal révolutionnaire, deux colons, connus pour avoir professé la théorie de l¬empoisonnement , et dont l'un, mort récemment, était revenu de ses erreurs, si j'en juge par l'ouvrage, en 2 vol. in-8°, qu'il a publié sur l'Economie politique de Saint-Domingue ; dans le second volume, il prend la liberté générale pour base. Brissot a été traîné à l'échafaud, et cet homme dont je différais tant sur les idées religieuses, mais dont j'estimais le républicanisme et la bonhomie, a laissé dans l'indigence sa femme et ses enfans, lui qu'on accusait aussi d'avoir été gratifié de quelques millions.

J'avoue que la mauvaise foi et la tyrannie des colons m¬a acharné à cette cause, que je n¬abandonnerai qu¬avec la vie. Barnave y avait mis de la duplicité : sur ma demande, il déclara qu'il regardait les gens de couleur et nègres libres comme compris dans les instructions du 4 avril ; sur ma demande encore, il fut forcé en pleine assemblée d'en réitérer l'aveu le 12 mai 1791.

D'où proviennent les malheurs des Antilles ? Colons, c'est votre ouvrage, et vous en êtes les tristes victimes. Si, de concert avec l'Assemblée nationale, vous eussiez concouru à une amélioration progressive du sort des esclaves, la marche des événemens eût amené sans secousse un ordre de choses plus conforme à la justice et à vos intérêts ; mais que firent les colons lorsque le décret du 15 mai 1790 fut rendu ? ils intriguèrent auprès du gouvernement pour empêcher la transmission de cette loi aux colonies, comme si on eût pu en dérober la connaissance aux nègres de ces contrées, dont on avait d'ailleurs électrisé les sentimens en arborant la cocarde tricolore, en répétant les chants de la liberté qui retentissaient à leurs oreilles et faisaient tressaillir leur coeur.

Les colons obtinrent de la cour des ordres pour prohiber l'embarquement de
tous les nègres et sangs-mêlés qui, étant en France, voudraient repasser aux Antilles. Le conseil souverain de la Martinique eut l'indignité de condamner à cinq ans de galères le malheureux Nadan, pour avoir répandu dans cette île un de mes
écrits. J'ai eu le bonheur de briser ses fers, lorsqu'au commencement de la Convention nationale j'appris cet acte d'iniquité.

La haine de la tyrannie avait profondément irrité le jeune Vincent Ogé, mulâtre doué d'excellentes qualités. Cinquante libelles mont accusé de l'avoir fait partir. La vérité est que je le dissuadai de son projet, qu'il m'avait confié ; je lui avais prédit qu¬il serait immolé : il l'a été. Ogé fut roué au cap ; son crime est celui de tous les hommes amis de la liberté.

Lorsque l'affranchissement général â Saint-Domingue eut fait éclore un nouvel ordre de choses. Toussaint-Louverture m'écrivit, en me priant de procurer à cette colonie un nombre suffisant d'ecclésiastiques, religieux et républicains, dont le zèle et les talens pussent seconder ses vues.

Cette demande coïncidant avec l'époque ou la persécution désolait encore la mère-patrie, mes tentatives furent long-temps infructueuses. Il me suppliait de faire moi-même le voyage pour organiser l'administration spirituelle de Saint-Domingue. Dans l'impossibilité où j¬étais d'accéder à cette demande, je parvins à remplir une partie de ses vues. M. Mauviel, sacré évêque de Saint-Domingue, partit sous les auspices du premier consul, avec trois estimables prêtres qui ont été victimes de leur zèle ; une proclamation de Toussaint-Louverture avait honorablement annoncé l'arrivée du prélat, qu¬ensuite il ne voulut pas recevoir, parce que ce général nègre avait été égaré par des prêtres
réfractaires et ambitieux. Le gouvernement, sachant que j'avais quelque ascendant sur l'esprit de Toussaint, m'avait invité à lui écrire une lettre qui fût de nature à resserrer ses liens avec la métropole. Celle que je lui adressai ne faisait
que reproduire, sous une autre forme, les sentimens développés dans toute ma correspondance, et manifestés également clans les lettres qu'il m'a écrites.

Verrons-nous enfin les malheureux Africains soustraits à la tyrannie des blancs ? L'esprit des sociétés religieuses en Angleterre et en Amérique, la maturité des abus, les connaissances qui pénètrent dans les Antilles, et, parmi les événemens futurs, celui par lequel cet archipel, secouant le joug de l'Europe, prendra part à des révolutions qui doivent déplacer les rapports commerciaux et changer la face du monde politique ; tout présage des changemens favorables à la justice.»



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