Linguistique
à l'agrégation d'anglais
LA MODALITE RADICALE, CORRIGE
UN EXEMPLE DE QUESTION LARGE : "La modalité radicale" "La modalité sert à indiquer le point de vue de l'énonciateur ..." Voici de quoi se faire un point de vue sur les auxiliaires de modalité, valeur radicale. travail sur un extrait de "Bartleby the Scrivener", Herman Melville Question large à traiter sur ce texte : la modalité radicale Ce corrigé nous est proposé par M. Paul Boucher, Université de Nantes, et reproduit avec son aimable permission, merci à Daniel Relet. La modalité, selon Rivière et Groussier (1996, p. 120), c'est la "détermination énonciative d'une lexis prédiquée par laquelle l'énonciateur indique dans quelle mesure il attribue à ce qu'il prédique une valeur référentielle". Parmi les quatre ordres de modalité distingués par Culioli, nous considérerons ici les modalités de type 4, appelées modalités radicales (ou déontiques, ou "modalités du sujet"). Ces modalités concernent la relation du sujet de l'énoncé au reste de la lexis. En bref, il s'agit de déterminer la liberté d'action de ce sujet-agent, moteur principal de l'accomplissement du procès. Nous retrouverons donc les deux valeurs complémentaires de la logique modale : le possible et le nécessaire. Mais contrairement aux modalités de type 2, appelées "épistémiques", il ne sera pas question de calculer l'éventualité d'une prédication, mais bien d'exprimer la capacité, la volonté ou le devoir d'agir du sujet. Le texte de Herman Melville nous fournit de nombreux exemples d'auxiliaires modaux ayant une valeur radicale, ce qui permet une étude nuancée du phénomène. Nous distinguerons 4 paramètres pour l'analyse des valeurs radicales: a) la nature de la modalité : la contrainte, c'est-à-dire la nécessité pour le sujet d'agir (must, shall, have to, ought to, should), la volonté, c'est-à-dire le désir du sujet d'agir (will, would, shall, should), ou la non-contrainte, c'est-à-dire la possibilité pour le sujet d'agir, qui comprend la permission (may, might) et la capacité matérielle (can, could); b) la source de la modalité : l'énonciateur ou une autre personne (e.g. must, shall), versus une source non-humaine, les circonstances, etc. (e.g. can, have to, ought to); c) la relation temporelle : la modalité est ancrée dans le présent (e.g. must, shall, will, can) ou, au contraire, a une valeur conditionnelle, éventuellement révolue (e.g. should, ought to, would); d) la présence ou non d'une valeur de visée c'est-à-dire d'une projection dans l'avenir de la prédication (e.g. will vs can). Le premier paragraphe du texte permet une étude intéressante de ces quatre valeurs. What shall I do? what ought I to do? what does conscience say I should do with this man, or rather ghost. Rid myself of him, I must; go, he shall. But how? You will not thrust him (...) No, I will not, I cannot do that. Rather would I let him live and die here, and then (...) What then will you do? For all your coaxing, he will not budge(...) Shall : l'énonciateur-sujet soumet sa volonté à celle d'une autre personne dans ce monologue ou plutôt dialogue avec lui-même; il ne peut pas se poser comme Agent; un autre doit lui dicter se conduite. shall, comme will, exprime une visée, bien entendu.l Nous avons aussi, L.27 un shall de type 'futur', qui met l'accent plus sur la visée, mais qui contient néanmoins cette notion de volonté du sujet effacée. Ought: cet auxiliaire introduit un changement sur deux paramètres : le temps et la source de la modalité. Plutôt qu'une volonté humaine, il s'agit ici de contrainte extérieure : quelle conduite serait dictée par les normes sociales de la communauté? Par ailleurs, il ne s'agit plus, comme avec shall, d'une source de contrainte présente dans la situation d'énonciation, mais d'une contrainte au conditionnel, que l'on pourrait gloser comme suit: 'si l'on se référait aux normes communautaires, quelle conduite s'imposerait?'. Ought est en effet la forme prétérite du verbe owe. Should: toujours au conditionnel, on revient à une source humaine, ici représentée par "the voice of conscience". On note la présence de cette forme passée de shall dans un énoncé dont le verbe principal - what does conscience say - est au présent. il s'agit donc bien d'un conditionnel et non d'une simple concordance des temps par exemple. Will/would: curieux monologue à deux voix entre le sujet et lui-même sur le thème de la volonté. Trois fois 'you will not' sous forme de question rhétorique, pour écarter en fait toute volonté d'abandonner Bartleby à son sort. Le sujet exprime son refus d'agir ainsi - I will not -; sa conscience le lui rend impossible : I cannot do that. On passe au conditionnel rather would I...; s'il avait le choix, il aimerait mieux laisser Bartleby rester là. L'autre voix revient à la charge what then will you do? Elle lui rappelle la volonté ferme de Bartleby de ne pas bouger : he would not budge. Il y a aussi des will et des would ailleurs dans le texte :L.21-23, 1.59, 66, 79, 81, mais les valeurs sont les mêmes que pour ceux que l'on vient d'analyser. Must (shall) : on distingue, dans l'approche de Culioli, deux sortes de contraintes la 'nécessité' -"modalité dans laquelle la contrainte résulte des circonstances" (p. 126) et l'obligation: situation où "le Sujet de l'énoncé est présenté comme soumis à une contrainte émanant d'un autre Sujet (contrainte intersubjective ou obligation)" (p. 132). Avec must, il s'agit évidemment du deuxième cas, mais nous avons proposé une analyse similaire pour shall plus haut. Qu'est-ce qui les distingue? Dans les deux cas la contrainte qui pèse sur le sujet a sa source dans un autre sujet, en général mais pas toujours le sujet de l'énonciation. C'est dans les deux cas une relation intersubjective. La différence c'est qu'avec shall la source de la contrainte est la volonté de l'Autre. En disant L.4 Go, he shall, l'énonciateur s'engage à ce que le sujet parte. Avec must l'Autre représente l'ensemble des forces morales de la communauté et probablement aussi l'ensemble des éléments extérieurs qui pèsent sur le sujet de l'énoncé, mais n'exprime pas sa propre volonté. Ainsi, en disant L. 12 something must be done, il rend compte des forces en présence qui imposent au sujet d'agir. Les autres must du texte (L.57, 77,78) sont du même type. Can/could : outre l'exemple déjà cité (l.7), on trouve l. 14 : upon what ground could you procure such a thing to be done?, 1.20 the only answerable proof that any man can show, 1.52 : These gentlemen, my tenants, cannot stand it any longer. Dans les deux derniers cas, il s'agit des capacités du sujet : any man, c'est-à-dire sujet générique, dans le premier cas, my tenants, sujet spécifique, dans le second. Le could de la ligne 14 renvoie aux propriétés de la situation suggérée par upon what ground : si certaines (lesquelles?) conditions étaient présentes, comment pourrait-on faire faire cette chose? May: il n'en y a qu'un seul exemple dans le texte :1. 28 : ln order that you may seek another place. On pourrait hésiter ici entre une valeur radicale (permission) et une valeur épistémique (éventualité). Il est vrai que la visée n'est pas absente, mais je ne pense pas pour autant qu'il s'agit d'évaluer les chances d'occurrence du procès dans le futur. L'énonciateur signifie plutôt au sujet que ce qu'il est en train de lui dire a pour but de le désengager de ses obligations, afin qu'il puisse chercher une autre place. il s'agit donc bien de la non-contrainte, de la liberté d'action du sujet, bien qu'on ne puisse pas parler à proprement dire de la permission. C'est donc une valeur radicale. Il est un peu surprenant de constater que ce texte ne contient que des exemples de modalité radicale, sans le moindre cas de modalité épistémique. Une analyse plus littéraire pourrait peut-être exploiter ceci pour parler de la contrainte inter-subjective, des forces sociologiques et psychologiques déclenchées par ce drôle de Bartleby Scrivener, mais je laisserai cela pour une autre fois. Paul Boucher, Université de Nantes, reproduit avec son aimable permission. Un grand merci à Daniel Relet de nous servir de... |
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